Audition d’Elisabeth BORNE sur le projet de loi d’orientation des mobilités devant la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable du Sénat

Le Jeudi 14 février 2019

Paris, le 13 février 2019

 

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Je me réjouis d’être parmi vous pour échanger enfin sur ce projet de loi d’orientation des mobilités que j’ai présenté en Conseil des ministres le 26 novembre dernier.

Le Président de la République, a, dès la campagne électorale et le début de son mandat, souhaité que nous marquions une pause dans les grands projets. Cette pause était nécessaire pour prendre le temps de construire une rupture, avec un objectif majeur : répondre aux besoins de tous, et dans tous nos territoires.
Le constat, clairement identifié depuis plus de 18 mois, c’est celui d’une mobilité en panne, qui contribue aux fractures sociales et territoriales. C’est le constat d’une France à 2 vitesses. Tandis qu’on inaugure des TGV, les trajets s’allongent sur les lignes classiques insuffisamment entretenues, le réseau routier se dégrade et les projets de désenclavement se font attendre. En outre, une large partie  de notre territoire est abandonnée au tout voiture. Cette dépendance à l’usage individuel de la voiture génère de l’exclusion, nourrit un sentiment d’abandon et pèse sur le pouvoir d’achat. Clairement, la politique, menée depuis des décennies ne répond plus aux besoins des Français.

L’actualité donne un prisme particulier à ce projet de loi, mais ce n’est pas un projet de circonstance. Ce projet n’a pas été construit comme une réponse conjoncturelle mais comme une réponse structurelle pour apporter des solutions concrètes face au malaise profond que j’entends depuis plus de 18 mois dans mes déplacements ou lors de mes rencontres avec les élus.

Il est le fruit d’un dialogue avec les collectivités, les associations, les entreprises pour apporter des solutions concrètes et efficaces pour nos concitoyens.

Ce dialogue va se poursuivre tout au long du processus législatif, en premier lieu ici au Sénat. Le regard et l’expérience que vous avez des territoires est précieux pour faire de cette loi le bras armé d’une politique de mobilité renouvelée et qui réponde pleinement aux besoins actuels.

Certains regrettent que ce projet de loi n’aille pas suffisamment loin sur un certain nombre de sujet ou ne soit pas suffisamment prescriptif. Vous le savez, il y a eu beaucoup de travail autour de ce projet de loi. Notre volonté a été de présenter un projet de texte concis. Cet exercice de sobriété a peut-être pu parfois faire perdre en lisibilité, mais je pense qu’on aura l’occasion d’y travailler dans le débat parlementaire.

En réponse à la colère exprimée ces dernières semaines, je pense en particulier qu’un certain nombre de propositions qui avaient été étudiées et partagées pourraient être réintroduites.

J’y reviendrai mais je veux d’abord évoquer la philosophie générale. Cette loi a été pensée comme une boite à outils.
Ma vision, c’est que le rôle de l’Etat est de fixer le cap, de faciliter et d’accompagner mais ce sont bien les territoires qui devront s’emparer de ce texte pour faire vivre des solutions adaptées à leur situation.

Ce projet de loi est construit autour des grands constats identifiés lors des Assises de la mobilité.

Le premier constat, probablement le plus structurant, nous place face à nos responsabilités. Aujourd’hui, sur 80% du territoire, il n’y a pas de solutions proposées par une Autorité organisatrice « dédiée » à la mobilité. C’est pourquoi, la loi a pour objectif prioritaire de simplifier l’exercice de la compétence mobilité par les collectivités, afin qu’elles puissent mettre en place des solutions simples et adaptées aux besoins. J’entends les inquiétudes concernant le délai pour décider du transfert de compétences, et je pense qu’on pourra ajuster le texte sur ce point.

Le bon niveau de réponse, c’est le bassin de mobilité. Mais nos concitoyens ne comprendraient pas que chacun conçoive ses offres dans son coin. Aussi, la loi renforcera la coordination entre autorités organisatrices et acteurs des mobilités et permettra que les usagers et les employeurs soient étroitement associés à la définition  des offres au travers des comités des partenaires. Cette association des entreprises étant je pense indispensable pour l’acceptabilité du versement transport, demain versement mobilité, qui repose sur le financement des entreprises.

Répondre au plus près des besoins, c’est aussi se donner les moyens d’apporter des réponses spécifiques à nos concitoyens les plus fragiles. La loi autorisera donc les autorités organisatrices à apporter des aides et des services spécifiques à ces publics. Des plans d’action communs entre tous les acteurs pourront être élaborés, là encore, à l’échelle des bassins de mobilité.

Cette dynamique doit être enclenchée rapidement. Je serai attentive aux propositions pour renforcer ces différentes mesures.

En effet, la période que nous vivons démontre l’urgence de répondre aux fractures territoriales et sociales et donc d’être à la hauteur des enjeux. On pourra notamment travailler pour renforcer tout ce qui permet l’efficacité des dispositifs d’accompagnement des personnes les plus fragiles.

Je pense notamment à la coordination à l’échelle des bassins de mobilité, via des contrats opérationnels de mobilité, qui pourraient entre rendus plus explicites afin d’assurer une bonne coordination entre les différents échelons.

Je pense également aux dispositions en faveur de la mobilité solidaire.

Enfin, j’entends les inquiétudes concernant les ressources des collectivités pour mettre en œuvre ces services de mobilité.

Je rappelle que la compétence mobilité a la chance de disposer d’une ressource dédiée, qui est le versement transport, demain versement mobilité, pour les collectivités qui organisent des services réguliers.

Je pense que l’on a deux cas de figure. Soit des collectivités qui veulent exercer cette compétence, et qui pourraient ne pas vouloir organiser de service régulier. Sur ce point-là, un travail est en cours pour déterminer une ressource dont la perception soit plus simple que celle du versement transport aujourd’hui, qui est parfois un petit peu une usine à gaz. Donc quand on a un taux bas de versement transport, il nous a semblé intéressant de creuser plutôt l’hypothèse de solution plus simple en termes de fiscalité locale. Ça, c’est le cas où les territoires ont les ressources nécessaires pour prendre en charge cette compétence mobilité.

Et puis on a un autre cas de figure, qui est notamment pointé par l’Association des maires ruraux, qui est celle de territoires dans lesquels le potentiel fiscal serait insuffisant. Là, on a à travailler sur un dispositif de solidarité. On est en train d’y réfléchir avec le ministère en charge de la cohésion des territoires, mais je ne doute pas que le Sénat aura certainement des bonnes idées sur ce sujet.

Mais je veux souligner que dans certains territoires ruraux, on peut tout à fait avoir de grandes entreprises, donc il n’y a pas automatiquement un lien entre un territoire peu dense et l’absence de ressource pour un versement mobilité.

Je l’ai dit, cette loi est une boite à outils dont  les collectivités et tous les acteurs de la mobilité sont invités à se servir. C’est particulièrement le cas dans le domaine de l’innovation qui, j’en suis convaincue, offre une grande diversité de solutions adaptables aux territoires.

Les innovations en matière de services, de pratiques, d’usages doivent profiter à tous et dans tous les territoires.

Ce n’est bien sûr pas la loi à elle seule qui permettra cela, c’est l’articulation des outils offerts par la loi et la dynamique que l’on peut créer.

La loi donnera un cadre et des outils adaptés, notamment avec l'ouverture en temps réel des données des offres de mobilité pour voir émerger de nouveaux services de porte à porte. Cette ouverture des données, dans le cadre du règlement européen, couvre l’ensemble des services de mobilité, mais certaines données sont peu détaillées sur certains champs.

Je pense que nous pouvons aller plus loin en ce qui concerne les données des taxis, le sujet étant plus délicat dès lors que l’on parle de plateforme VTC où on a un enjeu d’ensemble sur la régulation du secteur.
La méthode à laquelle je crois, c’est de donner un cadre normatif adapté et une impulsion.

Dans la même logique, la loi donnera tous les outils pour accompagner le développement du covoiturage, de l’auto partage, le transport à la demande ou encore le déploiement des véhicules autonomes.

Tout l’enjeu, c’est que ces innovations, puissent se déployer, grâce à la prise de compétence mobilité, sur tout le territoire. Un accompagnement concret est indispensable. C’est le sens de la démarche France Mobilités que j’ai lancée à la suite des Assises de la mobilité.

L’objectif est bien de permettre le développement et la diffusion de l'innovation dans les mobilités du quotidien en mobilisant les différents acteurs pour répondre aux défis de tous les territoires.

Nous avons choisi d’accompagner les territoires, sans attendre la loi, pour faire ce qui est déjà possible et anticiper ce qui le sera demain. Plus de 50 territoires essentiellement ruraux, ont déjà été sélectionnés pour être accompagnés dans leur démarche, essentiellement dans les territoires ruraux.

Les projets retenus sont divers et illustrent parfaitement la créativité et l’ingéniosité sur nos territoires : que ce soit des expérimentations d’autopartage en milieu rural, de véhicules autonomes dans des territoires peu denses, de projets visant à structurer l’offre de mobilité en milieu rural, ce sont autant de réponses possibles aux problèmes de mobilité du quotidien de nos concitoyens.

Nous allons également ouvrir prochainement une plateforme collaborative ayant pour objectif de recenser les projets existants sur les territoires. Car je le redis, les solutions viennent de nos territoires. Il faut les aider à s’approprier les solutions qui fonctionnent sur d’autres territoires similaires. J’invite donc tout le monde à contribuer au recensement des bonnes solutions afin de créer une dynamique sur les territoires.

Je n’oublie pas que ces innovations posent aussi un certain nombre de défis, je pense notamment aux nouveaux services de mobilités en libre-service. Là on est plutôt dans des problèmes qui concernent les grandes villes ou les métropoles.

Nous y répondons avec la possibilité donnée aux autorités organisatrices d’instaurer des « cahiers des charges » à respecter par les nouveaux opérateurs.

Il faudra également adapter notre cadre juridique aux nouveaux enjeux de mobilité. Je pense notamment au covoiturage, qui offre des perspectives pertinentes sur les territoires. Je crois que les autorités organisatrices doivent soutenir le développement du covoiturage, que ce soit par la possibilité de stationnements ou de voies réservées ou via des incitations financières en complément des dispositifs d’ores et déjà prévus par l’Etat.
Une habilitation est aussi prévue dans le texte, qui vise à permettre des innovations sur les services entre particuliers dans les zones peu denses.

Un autre enjeu important auquel il faut répondre et qui constitue le titre III de ce projet de loi, c’est bien évidemment l’urgence écologique qui appelle à changer nos comportements et à nous déplacer différemment.
Le projet de loi s’inscrit dans l’agenda ambitieux que la France s’est fixée dans l’Accord de Paris puis dans le Plan climat.

La loi retranscrit les principes qui me sont chers pour cette transition : à la fois des objectifs clairs, progressifs, partagés, qui permettent à tous d’anticiper, d’être acteurs de la transition ; et des mesures d’accompagnement du changement.

Je pense notamment aux dispositifs de soutien aux usages vertueux, avec le forfait mobilité, sur lequel je précise que nous avons engagé avec Muriel PENICAUD et Jacqueline GOURAULT des discussions entre les employeurs, les partenaires sociaux, et les associations de collectivités pour voir dans quelle mesure on pourrait aller plus loin dans le caractère obligatoire de ce forfait mobilité.

Je pense aussi à la conversion des parcs, avec notamment la prime à la conversion ou le soutien au déploiement des infrastructures de recharges et d’avitaillement.

Le second niveau, ce sont tous les outils dont j’ai parlé pour accompagner nos citoyens, en développant des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture thermique.

Cette loi a donc vocation à donner les outils nécessaires au déploiement de solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture.

Améliorer la mobilité quotidienne de nos concitoyens passe aussi par une nouvelle vision de notre politique d’infrastructures.

Pour la première fois, un Gouvernement fait le choix d’une programmation de sa politique d’infrastructures, c’est l’objet du titre IV de ce projet de loi.

Pour construire cette programmation, il a fallu faire des choix. Des choix difficiles car beaucoup a été promis pendant des décennies mais tout ne peut pas être financé dans les délais annoncés.

Cette programmation s’appuie très largement sur les travaux du Conseil d’Orientation des Infrastructures, présidé par Philippe Duron et associant des parlementaires, dont votre Président Hervé Maurey, votre collègue Michel Dagbert et votre ancien collègue Gérard Cornu. La qualité du travail et le sens de l’intérêt général a été salué par tous, et notamment l’adoption à l’unanimité d’une proposition de programmation.

Cette programmation suppose une augmentation très substantielle des enveloppes consacrées aux investissements dans les transports, avec des priorités claires : l’entretien des réseaux existants, la désaturation des grands nœuds ferroviaires pour y développer l’offre de transports, l’accélération du désenclavement routier, le développement de l’usage des mobilités propres, partagées et actives, et le renforcement de l’efficacité et du report modal dans le transport de marchandises.

Enfin, s’agissant des grands projets, il s’agit de les réaliser de façon phasée en commençant en priorité par les opérations concourant d’abord à l’amélioration des déplacements du quotidien.

Vous le voyez, l’exercice auquel nous nous sommes livrés est inédit et courageux. Il s’agit d’une priorisation des projets afin de construire une programmation des infrastructures sincère. Le choix et le calendrier des projets qui seront financés ont été concertés et sont cohérents avec les ressources qui sont prévues dans la programmation.

J’ai entendu les inquiétudes et des interrogations concernant les financements de cette programmation. Il convient de distinguer deux problématiques.

Tout d’abord, il y a une situation conjoncturelle. En effet, le moindre rendement de nos radars, dont un certain nombre ont été détruits ou dégradés ces derniers mois, explique que l’AFITF n’ait pas encore adopté son budget pour 2019.

Cela doit nous interroger sur le fait de faire reposer une politique stratégique et de long terme sur une ressource par essence fluctuante et dont on devrait collectivement souhaiter qu’elle baisse. Dans l’immédiat, nous travaillons évidemment à trouver une solution sur l’année 2019, et je ne doute pas que nous y parvenions afin d’honorer nos engagements budgétaires sur l’année.

Ensuite se pose la question du financement à long terme de cette programmation. Vous le savez, les discussions avaient été engagées, sur la base des pistes proposées par le Conseil d’orientation des infrastructures, pour dégager une ressource pérenne à hauteur de 500 millions d’euros par an à partir de 2020. Je vous confirme que j’ai souhaité attendre la fin du grand débat, dans lequel la question de la fiscalité écologique est posée, et que les dispositions nécessaires pourront être traduites dans la loi de finances.
Si je suis attachée à ce que la programmation soit financée à hauteur des besoins et qu’il est légitime de débattre des moyens qui le permettront, je souhaite vous rappeler qu’il s’agit d’une loi de programmation, et qu’aucune des lois de programmation – par exemple celle militaire – n’est une loi de finances et n’a donc vocation à intégrer des mesures fiscales et budgétaires.

Enfin, le dernier titre de ce projet de loi, « mesures diverses » dont le titre pourrait laisser penser qu’il s’agit de dispositions accessoires, porte des dispositions très importantes, notamment en matière de droits sociaux, notamment pour les transporteurs routiers qui attendent d’être sécurisés sur l’application de leur convention collective mais également pour les salariés de la RATP dans le cadre de l’ouverture à la concurrence.

Vous l’aurez compris, ce projet de loi, construit dans la concertation, s’adresse en premier lieu aux territoires. Il a pour vocation de répondre aux grands enjeux de la mobilité d’aujourd’hui et de demain, pour une politique de mobilité au service de tous et partout.

Je vous remercie.

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Seul le prononcé fait foi
 

 

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