Discours d'Elisabeth Borne : Examen en séance publique au Sénat du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire

Le Mardi 29 mai 2018

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Monsieur le rapporteur,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Nos concitoyens et nos territoires ont besoin de mobilité.

C’est un besoin vital.

C’est la première des réponses que nous avons collectivement le devoir d’apporter à celles et ceux qui se sentent encore assignés à résidence, à ces villes et villages, ces quartiers, qui vivent l’isolement comme une relégation.

Cette mobilité, c’est aussi une réponse à la tentation du repli sur soi qui est le terreau des populismes face aux  transformations politiques, économiques et sociales qui bouleversent notre pays.

Confortée par les échanges que nous avons déjà engagés dans cet hémicycle, je sais que nous partageons l’ambition de  répondre à cette attente.

Cette ambition commune, c’est  celle  des Assises nationales de la mobilité qui nous ont permis de partager un diagnostic large et rigoureux.

A l’aune de ce travail riche et foisonnant, le Gouvernement s’est assigné une triple exigence dans laquelle s’inscrivent le présent projet de loi et la loi d’orientation des mobilités que je présenterai dans les prochaines semaines.

Exigence d’efficacité tout d’abord : pour remettre en état notre système de transport aujourd’hui menacé par un sous-investissement chronique et insuffisamment préparé pour intégrer les nouveaux services.

Exigence de justice sociale et territoriale ensuite pour garantir la mobilité pour tous et dans tous les territoires.

Exigence environnementale enfin, en créant les conditions nécessaires au développement d’une mobilité plus durable pleinement inscrite dans la transition écologique.

Répondre à cette triple exigence, c’est tirer parti de la richesse des nouvelles mobilités, mobilités propres, partagées, connectées et autonomes qui doivent pouvoir être développées mais aussi s’articuler avec un transport ferroviaire performant, colonne vertébrale de nos mobilités.

En effet, qui peut nier le rôle central joué depuis bientôt deux siècles par le transport ferroviaire dans le quotidien des déplacements de nos concitoyens, dans le développement de notre économie, dans le façonnement de nos territoires ?

Qui peut nier la place centrale de la SNCF, depuis 80 ans, dans l’imaginaire collectif nourri depuis les trains des premiers congés payés jusqu’aux records de la grande vitesse ?

Parce que le rôle du transport ferroviaire est structurant, parce que notre attachement collectif, à la SNCF est profond, nos attentes sont importantes, et c’est bien légitime.

Ces attentes sont-elles satisfaites aujourd’hui ?

Je  ne le pense pas, pas plus que nos concitoyens dans leurs trajets quotidiens, ou plus occasionnels, pas plus que nos entreprises qui souhaitent s’appuyer sur le fret ferroviaire.

Ils font le constat que vous partagez tous sur ces bancs et dans les territoires que vous représentez, celui :

  • D’une qualité de service ne répondant pas aux attentes des usagers malgré l’engagement des cheminots,
  • D’une dégradation des infrastructures, fruit de décennies de sous-investissement,
  • D’une dette qui menace dangereusement le système ferroviaire.

Face à l’urgence de la situation, le Gouvernement a engagé en février dernier une réforme d’ampleur :

  • en ouvrant à la concurrence, pour permettre à nos concitoyens d’avoir accès à plus de trains, circulant plus régulièrement et avec des offres tarifaires plus intéressantes ;
  • en transformant la SNCF en société nationale à capitaux publics pour en faire un groupe industriel performant et un champion sur ce marché;
  • en refondant le pacte social des cheminots pour l’adapter, dans une logique d’équité,  à un monde ouvert à la concurrence;
  • en consolidant le modèle économique de la SNCF pour lui donner tous les atouts pour s’engager résolument dans l’avenir.

L’objectif du pacte ferroviaire qui est proposé est simple : il s’agit tout à la fois d’augmenter et d’améliorer l’offre de service public.

Mieux répondre aux besoins de mobilité de nos concitoyens, c’est aussi réconcilier le service public avec une de ses valeurs fondamentales, celle de l’adaptabilité aux besoins des usagers et des territoires.

Concernant les territoires, et parce que je sais que l’avenir de leur desserte a pu susciter des inquiétudes à la suite du rapport de Jean Cyril Spinetta, je veux une nouvelle fois devant vous être très claire concernant ces lignes appelées improprement « petites » lignes.

Parce qu’elles sont essentielles au lien social et territorial, qu’elles sont indispensables au développement du fret, l’Etat demeurera aux côtés des collectivités pour entretenir ce maillage et respectera les engagements pris dans le cadre des CPER.

Et, je veux le dire clairement, l’ouverture à la concurrence peut être une chance pour ces lignes parce que de nouvelles entreprises  pourront proposer de nouvelles approches aux régions.

De même, le modèle retenu par le Gouvernement confortera  la desserte des territoires par les TGV qui ne se limite pas aux grandes métropoles mais irrigue plus de 230 villes.

Nous y sommes tous particulièrement attachés et ce sera un gage de réussite de cette réforme.

***

 A ceux qui croient, ou veulent faire croire, que cette réforme signerait un recul de l’Etat, je veux ici rappeler que le Gouvernement prend pleinement ses responsabilités pour donner au ferroviaire un modèle viable sur le long terme.

Cela passe par trois engagements essentiels dont la portée a été précisée vendredi dernier par le Premier ministre.

Le premier, c’est d’investir dans le ferroviaire, comme aucun gouvernement ne l’a jamais fait jusque-là.

Pour permettre le développement d’une offre de qualité, il nous faut, en effet, un réseau  performant.

L’effort déjà consenti est sans précédent car ce sont près de 36Md€ que l’Etat s’est engagé à investir dans les 10 prochaines années sur le réseau existant.

Sans précédent mais pas encore à la hauteur des besoins.

Aussi, nous irons plus loin :

  • dès 2022, nous investirons chaque année 200 M€ supplémentaires
  • 200 M€ par an, c’est ce qui permettra de lancer par exemple des projets de signalisation ferroviaire pour augmenter de plus de 20% le nombre de trains entre Paris et Lyon ou réduire de moitié les incidents d’infrastructure entre Marseille et Nice.

Ces investissements sans précédents, ce sont bien des améliorations concrètes du quotidien, afin que nos concitoyens bénéficient d’un réseau plus sûr et d’un service plus fiable, afin que les cheminots retrouvent la fierté d’un outil de travail à la hauteur de leurs compétences.

Pour permettre le développement de l’offre ferroviaire, le Gouvernement a également souhaité sortir du cercle vicieux où la hausse des péages,  limitait le nombre de trains, et nourrissait ainsi un déficit et une dette qu’elle était censée résorber.

Aussi, comme le Premier Ministre l’a indiqué, et en accord avec l’Arafer, nous limiterons la hausse des péages des TGV et du fret au niveau de l’inflation.

Ce n’est pas une simple mesure technique, c’est là un levier essentiel au développement de services pour les voyageurs et à la relance du fret ferroviaire sur lequel pesait des hausses de péages insupportables.

Il fait partie d’une ambition bien plus large pour développer le fret ferroviaire que je présenterai prochainement. Je ne me satisfais pas d’une part modale du rail de 10% pour les marchandises.

D’autant qu’un train de fret c’est 50 camions en moins sur les routes.

Enfin, et je pense que, tous sur ces bancs, vous pourrez nous en faire le crédit, le Gouvernement met un terme à des décennies de non-décisions concernant la dette de la SNCF en reprenant 35 Md€ de dette durant le quinquennat : 25 Md€ en 2020, et 10 Md€ supplémentaires en 2022.

Dès 2020, la SNCF pourra ainsi, sans difficultés, se financer comme toutes les entreprises ; et d’ici la fin du quinquennat elle sera en mesure d’investir sans creuser sa dette.

C’était un engagement fort du  Président de la République qui est au cœur de ce pacte ferroviaire.

Parce que cet engagement est sans précédent ;

Parce que cet effort demandé à nos concitoyens ne pourra être renouvelé ;

Le Gouvernement entend se prémunir et prémunir la SNCF de la reconstitution d’une telle dette.

Aussi, je vous proposerai d’introduire dans le projet de loi une règle contraignante pour que SNCF Réseau ne puisse plus, à l’avenir, s’endetter sans que le Gouvernement ne prenne des mesures de rétablissement.

Par ailleurs, afin que le Parlement et à travers vous, nos concitoyens, puissent mesurer l’effort consenti pour le rétablissement de l’équilibre du système ferroviaire, le Gouvernement veillera à ce que la dette reprise soit mise en évidence dans les comptes de la Nation.

Ce sont là des garanties nécessaires pour le maintien dans la durée d’un équilibre enfin retrouvé.

***

Mesdames et messieurs les sénateurs, depuis l’annonce de ce pacte ferroviaire le 26 février dernier, j’ai mené cette réforme avec détermination et dans un esprit de dialogue, fidèle à la méthode que le Premier ministre avait annoncée.

Pour répondre à l’urgence de la situation, nous avons présenté à l’Assemblée nationale un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances remplacé, avec méthode, chapitre après chapitre, par des dispositions concrètes, nourries de concertations structurées avec les organisations syndicales et soumises  au débat parlementaire.

Comme je m’y étais engagée, j’ai poursuivi résolument le dialogue avec celles des organisations syndicales qui, au-delà des divergences sur les fondamentaux de cette réforme, divergences que je respecte, ont accepté de formuler des propositions concrètes pour enrichir le texte proposé par le Gouvernement.

Dans cette œuvre commune, le Sénat a pris toute sa place, fidèle à son sens du dialogue, et je veux ici remercier votre rapporteur, les membres de votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et son Président, pour la qualité de nos échanges dans un climat de confiance réciproque.

Après son adoption à une très large majorité par l’Assemblé Nationale, le projet de loi qui vous est présenté ressort donc enrichi des travaux de votre commission.

Reprenant et je l’en remercie les propositions que j’avais formulées lors de mon audition le 16 mai dernier, votre commission a validé pleinement les grands axes de cette réforme.

Je pense tout d’abord à la transformation de la SNCF en  société nationale à capitaux publics, dont vous avez conforté  le caractère incessible du capital pour lever les inquiétudes, peut-être sincères chez certains, que l’inscription dans la loi du caractère 100% public de la SNCF n’avait pas encore réussi à lever.

Entreprise publique hier, entreprise publique aujourd’hui, entreprise publique demain, la SNCF pourra également, je le rappelle, s’appuyer sur le caractère inaliénable du domaine public ferroviaire.

En matière d’organisation, votre commission a précisé  la répartition des missions exercées jusqu’ici par l’EPIC de tête, parachevant ainsi la démarche de transformation des ordonnances en article de loi.

Afin que les enjeux de sécurité soient pleinement pris en compte dans un monde désormais ouverts à de nouveaux acteurs, il est apparu nécessaire de créer une structure  permettant de partager les expériences et définir ensemble des procédures pour assurer un service en toute sécurité.

Le deuxième axe de cette réforme est, vous le savez, l’ouverture à la concurrence sur laquelle nous avons eu de riches débats en mars dernier.

 Cette ouverture à la concurrence,  j’observe que sur la quasi-totalité de ces bancs, son principe est partagé car elle sera au bénéfice des voyageurs en permettant d’avoir d’avantage d’offre et des trains au meilleur coût.

Celle-ci n’est pas une contrainte venue de l’extérieur ; elle constitue au contraire un choix validé lors du précédent quinquennat, attendu par les régions et assumé par ce Gouvernement qui l’a souhaité progressive et protectrice.

Progressive en permettant aux régions d’engager l’ouverture à la concurrence au rythme qu’elles souhaitent et sur le périmètre qu’elles auront défini.

35 ans après les premières lois de décentralisation, il s’agit de donner aux régions les outils d’une autorité organisatrice de plein exercice.

Votre commission a utilement enrichi le texte voté par les députés :

  • En reprenant plusieurs mesures contenues dans la proposition de loi du Président Maurey et de votre ancien collègue Louis Négre concernant notamment le transfert des matériels roulants et des ateliers.
  • En confortant le rôle des autorités organisatrices dans la définition du périmètre des transferts.

Cette ouverture à la concurrence, je l’ai souhaité, protectrice pour les salariés du secteur et pour les territoires.

Pour les salariés en assurant en cas de transfert l’essentiel des garanties de leur statut et en créant  une « portabilité » des droits pour les cheminots.

Partageant cette ambition et le souci d’enrichir le texte des concertations que j’ai menées et des échanges que vous avez-vous-même eus avec les organisations syndicales, vous avez assorti le principe d’un transfert obligatoire, nécessaire à la continuité du service public, d’assurances supplémentaires en termes de volontariat, de maintien de la rémunération et en ouvrant un droit d’option individuel  pour les cheminots revenant à la SNCF.

C’est un point auquel, vous êtes, je le sais Monsieur le rapporteur, particulièrement attaché.

Votre commission a également voté la date d’arrêt du recrutement au statut proposée par le Gouvernement au 01 janvier 2020 et garanti, au sein d’un « périmètre ferroviaire social  unifié », l’unité sociale du groupe, permettant  notamment :

  • De maintenir l’application du statut aux actuels salariés,
  • De favoriser la mobilité professionnelle interne,
  • Et d’organiser les œuvres sociales au sein de l’entreprise.

Protectrice pour les salariés, cette ouverture à la concurrence le sera également pour les territoires dont le Gouvernement a veillé à ce que la desserte  TGV ne soit pas affaiblie par l’arrivée de nouveaux opérateurs. 

Votre commission a adopté un dispositif complémentaire dont j’approuve l’économie générale.

***

Au-delà de ce texte et des engagements financiers pris par le Gouvernement, un élément important est désormais entre les mains des partenaires sociaux pour parachever cette réforme : je pense à la négociation d’un nouveau cadre social au niveau de la branche.

En effet, si le Gouvernement a dès le départ voulu respecter le contrat moral passé  entre la SNCF et ses agents, les futurs cheminots bénéficieront compter du 1er janvier 2020 d’un socle de droits communs à tous les salariés du secteur, dans le cadre de la convention collective qui devra être finalisée d’ici là.

Ce calendrier est ambitieux mais réaliste.

En effet, nous ne partons pas de rien, quatre accords, notamment sur l’organisation du travail  et la formation professionnelle ont déjà été conclus depuis le début des négociations en 2015.

Sans se substituer aux partenaires sociaux, l’Etat s’engagera dans cette négociation essentielle en qualité d’observateur attentif et exigeant.

A ce titre, je réunirai donc prochainement les organisations syndicales et l’UTP pour engager la relance de ce processus de négociation.

Pour la suite et afin de s’assurer du respect du calendrier et des thèmes de négociations, le Gouvernement mettra en place un observatoire du dialogue social dans la branche composé de Jean Paul Bailly et d’une  personnalité dont les compétences sont reconnues en termes de relations sociales.

Cet observatoire suivra les négociations et pourra alerter l’Etat  en cas de difficultés.

Enfin,  parce que je sais votre attachement à la qualité de ces négociations, je veillerai à tenir régulièrement informée  votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de l’avancement de ces négociations.

Alors que s’ouvre ce débat, Mesdames et messieurs les sénateurs, chacun dispose d’une vision complète de la réforme qui vous est proposée.

Certains la contestent. J’entends leurs craintes et nous sommes là pour y répondre. Nous devons aussi entendre la colère des usagers pénalisés par la grève. Ils attendent beaucoup de ce service public.

La réforme que je vous propose va durablement transformer et refonder notre système ferroviaire, ce service public auquel chaque français est attaché.

  • Pour les régions, nous donnons de nouveaux outils pour remplir leurs missions d’autorités organisatrices et pour  mettre le ferroviaire au service des territoires,
  • Pour la SNCF, nous confirmons de façon indiscutable son statut public tout en lui donnant la souplesse d’une véritable entreprise responsable de son destin,
  • Pour les cheminots, nous maintenons le statut de tous ceux qui l’ont aujourd’hui et nous dessinons un nouveau contrat social protecteur pour l’avenir,
  • Pour nos concitoyens, nous remettons sur pied le système ferroviaire  pour qu’il y ait plus de trains, des trains moins chers et une amélioration de la qualité de service qui permettre au ferroviaire de jouer pleinement son rôle de colonne vertébrale d’une mobilité pour tous et tous les territoires

Vous le voyez, le texte qui vous est proposé est le résultat :

  • D’une ambition claire du Gouvernement, ferme sur les principes ;
  • D’une réelle négociation avec les partenaires sociaux ouverts au dialogue ;
  • D’un enrichissement apporté à chacune des étapes du débat parlementaire auquel votre commission a pris une part très active et je veux à nouveau, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, vous en remercier.

Nous sommes arrivés à un point d’équilibre qui sera, j’en suis certaine, conforté par les débats que nous engageons aujourd’hui.

Je vous remercie.

Seul le prononcé fait foi

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